- VÉRISME MUSICAL
- VÉRISME MUSICALLe terme de vérisme, qui s’était imposé pour désigner un mouvement littéraire italien réuni autour de Giovanni Verga, en vint, par extension, à s’appliquer à un style de théâtre musical, également d’origine italienne, qui s’est inspiré de son esprit et de son esthétique, à la fois en réaction contre l’influence de Wagner et conformément à l’évolution des conditions de vie attirant à l’opéra un public toujours plus large, sinon plus éclairé. Après les manifestes révolutionnaires de Cavalleria rusticana et de Paillasse , le vérisme engloba, à tort ou à raison, la totalité de l’œuvre de Puccini, qui en donna une sorte d’image sublimée, capable d’en concilier les exigences avec le respect d’un passé où Verdi lui-même et Wagner se trouvaient réunis. En quinze ans, cependant, le vérisme devait épuiser ses recettes. Chacun de ses compositeurs représente, du reste, une époque, une façon de sentir et de s’émouvoir, et aucun d’eux n’hésitera à s’évader de principes dont il ne connaissait que trop les limites et les écueils. Idolâtré par les uns, honni par les autres, l’opéra vériste demeure discuté. Au principal reproche qu’on lui fait d’être une esthétique mise à la portée de la foule et ne reculant devant aucun effet dans le dynamisme ou la brutalité, plusieurs générations d’interprètes – chefs d’orchestre (Gustav Mahler, Arturo Toscanini, Herbert von Karajan, Nello Santi, Seiji Ozawa, Riccardo Muti, Semyon Bychkov) ou chanteurs (Nellie Melba, Maria Callas, Leontyne Price, Renata Scotto, Montserrat Caballé, Mirella Freni, Katia Ricciarelli, Victor Maurel, Enrico Caruso, Beniamino Gigli, Jussi Björling, Alfredo Krauss, Placido Domingo, Luciano Pavarotti, José Carreras) – ont opposé une courageuse défense, d’autant plus autorisée qu’ils étaient les plus illustres de leur temps. Il est indéniable que le vérisme proprement dit a marqué un moment sans lendemain de l’histoire de la musique. Mais les chefs-d’œuvre qu’il a produits bénéficient encore d’une audience universelle.Les pionniersSi l’opéra gardait, dans le dernier quart du XIXe siècle, une évidente primauté sur la salle de concerts, les grandes fresques historiques ou légendaires de Verdi ne pouvaient alors toucher qu’une élite, surtout après Otello (1887), et la conséquence la plus immédiate fut un choix des thèmes et des sujets plus adapté aux goûts et aux tendances de l’époque. L’homme réel, moderne et appartenant aux classes les plus diverses, s’y voyait substitué aux héros à panache, aux rois et aux princes qui, jusqu’alors, ne l’avaient guère admis auprès d’eux que pour amuser les spectateurs et non pour les émouvoir; le principal objectif était alors de montrer qu’il était capable d’éprouver les mêmes sentiments, de souffrir les mêmes peines et de pleurer les mêmes larmes. C’est la «tranche de vie» évoquée dans le prologue de Paillasse , qui met en scène des personnages de condition modeste et qui, facilitée par le climat politique, social, littéraire et religieux des années 1890, allait trouver dans le public une résonance immédiate.Il n’était pas malaisé de trouver dans La Traviata – et surtout dans Carmen – des précédents qui substituent la vie à la convention et exaltent la sincérité brutale des personnages et des situations, en faisant appel à des sujets contemporains. Mais la première manifestation de cette conception nouvelle fut cependant la Cavalleria rusticana de Pietro Mascagni (1863-1945), inspirée précisément de la nouvelle de Verga (1880) dont on avait déjà tiré un drame (Turin, 1884). Son succès immédiat et spectaculaire (soixante rappels pour le compositeur lors de la création en 1890 et, en quelques mois, sa programmation dans quatre-vingt-seize théâtres) fut le signal d’une véritable révolution où l’opéra, jusqu’alors aristocratique, devenait «populaire»; et cela par l’accord total entre une transfusion de sang pris dans la vie quotidienne, les moyens, directs et vibrants, pour l’exprimer, et la façon de ressentir cette expression, propres à la mutation que les dernières décennies du siècle ont connue en Italie, plus encore qu’ailleurs (en France, Alfred Bruneau ou Gustave Charpentier n’ont jamais connu la popularité mondiale des véristes). C’est que la musique de cette «opérette tragique» arrivait à son heure. Elle était l’expression même de ce moment de l’esprit méditerranéen où les passions primitives se trouvaient projetées en pleine lumière et comme attisées par un soleil impitoyable dans un climat de processions, de danses et de folklore, bien propre à dissiper les derniers vestiges de la magie wagnérienne. On appréciait ses contrastes, la progression qu’elle apporte à l’intensité dramatique et, par-dessus tout, le retour en force d’un style vocal prenant prétexte de la beauté du timbre, de la vitalité et de la chaleur naturelle de sa vibration. «Couronné avant d’être roi», comme il le disait lui-même, Mascagni écrira ensuite une dizaine d’opéras attestant l’effort de renouvellement qui était sa principale préoccupation. Ce sont, entre autres, le délicat et poétique L’Amico Fritz , le romantique Guglielmo Ratcliff et la prémonitoire Iris , nimbée de symbolisme, avant Il Piccolo Marat et Nerone . Mais aucun d’eux n’a retrouvé l’audience de Cavalleria rusticana .Deux ans plus tard, en 1892, le public milanais faisait un triomphe au Paillasse (I Pagliacci ) de Ruggero Leoncavallo (1858-1919) qui exploitait le thème du clown obligé d’amuser les spectateurs quand il a le cœur brisé. Sujet conforme à la tendance qui poussait à présenter, avec les comédiens et les bateleurs de foire, «des hommes comme vous et moi», et que la violence dramatique de la musique portait à son extrême point d’intensité grâce à un livret attestant d’extraordinaires facultés de vision nouvelle: par exemple, l’ambiguïté dramatique née d’une pièce à l’intérieur de la pièce, et qui utilise pour l’action figurée les personnages traditionnels de la commedia dell’arte, puis la superposition du jeu théâtral et de la réalité des sentiments, exacerbés en fonction des mêmes situations et parfois des mêmes mots. Un prologue célèbre, composé après l’opéra, peut être considéré comme le manifeste du mouvement vériste: «Plus que nos costumes, considérez nos âmes...» Comme Mascagni, Leoncavallo reste l’homme d’une seule œuvre qui est, paradoxalement, une sorte de parenthèse dans un catalogue où les grandes fresques historiques (I Medici ) voisinent avec les thèmes romantiques (Chatterton , La Bohème ), mythiques (Edipo rè ) ou de fantaisie (les opérettes).Puccini et les derniers véristesLe premier grand triomphe de Puccini, Manon Lescaut (1893), a pu spontanément s’inscrire dans la lignée de ses devanciers par le réalisme de son sujet – ses personnages appartenant à l’humanité moyenne –, le pathétique poignant de ses situations et de son dénouement. Bien que sollicité par le climat légendaire qui était celui des Villi (1884) et qu’on retrouvera dans Turandot (1926), il restera fidèle à son idéal bourgeois et à l’évocation de «ces petites femmes qui ne savent qu’aimer et souffrir», qu’il s’agisse de la parisienne Mimi, de la japonaise Butterfly, de l’altière Floria Tosca, de suor Angelica ou de la petite esclave Liu qui donnera sa vie pour celui qu’elle aime. Mais c’est par des moyens bien étrangers à ceux de ses confrères qu’il en réalisera la transposition musicale: richesse harmonique, subtilité de l’orchestration, recherche d’une poésie et d’un climat capables de renouveler de fond en comble l’opéra post-verdien, soit par l’intelligente assimilation des procédés wagnériens (utilisation du leitmotiv), soit par le raffinement du décor sonore. Et c’est là, sans doute, ce qui justifie la carrière exceptionnelle de tous ces opéras.Pour avoir écrit un opéra à succès sur L’Arlésienne d’Alphonse Daudet (1897), Francesco Cilea (1866-1950) a pu être salué comme «le Mistral de la musique», et Massenet admirait beaucoup son Adriana Lecouvreur (1902), l’une des meilleures productions du mouvement vériste. Il semble toutefois que sa nature sensible et discrète l’ait incité très tôt à s’en évader et à se consacrer plus activement au professorat.Dernier des grands véristes et l’un des plus représentatifs, Umberto Giordano (1867-1948) a dû une juste renommée à Andrea Chenier (1896) et à Fedora (1898), dont la veine mélodique, l’instinct dramatique et, suivant les circonstances, la violence ou le charme participent d’une même efficacité. Mais, comme Mascagni et Leoncavallo, le désir de ne pas utiliser jusqu’à épuisement les recettes qui lui avaient valu ses premiers triomphes a nui à la suite de sa carrière, qui contient pourtant des ouvrages parfaitement valables (Siberia ou Madame Sans-Gêne ).Rattachés au vérisme, Franco Alfano (1876-1954) est moins connu pour sa Résurrection (1904), inspirée de Tolstoï, que pour avoir terminé la Turandot de Puccini, et Riccardo Zandonai (1883-1944) demeure, lui aussi, l’homme d’une seule œuvre, Francesca da Rimini (1914), malgré d’autres titres dignes d’intérêt (Conchita , Giulietta e Romeo , I Cavalieri di Ekebù ).
Encyclopédie Universelle. 2012.